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Ananas & Compagnie
19 avril 2015

J'ai un corps

 C'est peut-être parce que je suis transgenre, mais il y a des évidences qui restent pour moi des mystères insondables. J'ai un corps.

 Mon corps occupe un espace physique déterminé à l'intérieur de la Création. Il a une certaine taille, une certaine forme, et des limites : il existe jusqu'au bout de ses extrémités, et il n'existe plus au-delà de cette frontière. Il est, et il ne peut pas être ignoré : on ne peut pas passer au travers, on est forcé d'interagir avec lui, et lui-même peut interagir avec le reste de la Création. Il a été conçu pour ça. Il possède une variété de sens qui lui permettent de décrypter son entourage, et il est capable de manipuler certaines choses (mais pas toutes) de par la façon dont il a été conçu.

 Mon corps sait beaucoup de choses, et en un sens m'en informe – c'est d'ailleurs étrange de le formuler ainsi, comme s'il communiquait avec moi alors que nous ne sommes qu'un, et peut-être serait-il plus correct de dire que je sais beaucoup de choses à propos de mon corps – mon corps a faim, mon corps a froid, mon corps a chaud, mon corps ressent de la douleur ou du plaisir, de manière générale les informations que mon corps émet ne sont liés qu'à son bien-être et sa préservation. C'est tout. Mon corps peut avoir mal, mais il ne sait même pas pourquoi il a mal. Mon corps n'interprète rien. Même la douleur n'indique pas forcément que quelque chose ne fonctionne pas correctement – parfois, c'est normal d'avoir mal.

 Mon corps grandit et change. Il évolue en permanence. Il est devenu un corps d'adulte. Il continue de faire pousser mes ongles et mes cheveux. Mon corps n'a pas vraiment de volonté propre – mais il formule des demandes que je ne partage pas forcément. Il peut avoir faim, soif, envie d'aller aux toilettes, sans que ce soit forcément le bon moment – et je peux exercer un certain contrôle sur ces demandes, mais je ne peux pas les ignorer totalement. Il peut avoir des réactions que je ne contrôle pas non plus, et que je ne désire pas forcément. Je peux me mettre à rougir par exemple. Mon corps peut être fatigué, aussi, ou au contraire plein d'énergie, sans que cela ne corresponde nécessairement à ce que je désire faire comme activité en ce moment.

 Je ne peux pas l'ignorer totalement.

 Je ne suis pas complètement maîtresse de mon corps. Je ne suis pas complètement maîtresse de moi-même. Mais je ne suis pas non plus complètement dépourvue de contrôle sur lui. Je n'ai d'ailleurs pas choisi mon corps, et je dois faire avec ce que j'ai. Je vis avec mon corps. Je vis parfois plutôt bien avec, parfois plutôt mal, parfois je prends du temps à en prendre soin et parfois je prends du temps à faire tout autre chose sans penser à lui du tout.

 J'ai un corps. Je suis un corps (et parler de mon corps comme d'un autre comme je le fait durant tout ce message me fait bizarre, parce que ce corps c'est moi), mais je ne me limite pas à mon corps. Je suis beaucoup plus que ça. Je suis une personne. Je suis une fille. Je suis Jolene.

 Rien que cette dernière phrase est très révélatrice de comment je vis – comment nous vivons tous. Mon identité n'est pas définie par mon corps. Mon identité est faite d'éléments qui n'ont rien à voir avec mon corps (comme mon prénom) et d'éléments qui définissent mon corps. Mon corps est. Il ne peut rien me dire, et il ne me dit rien sur qui il est – sur qui je suis : tout ce qu'on dit sur moi, de si je suis une fille à quelle taille je mesure, est une interprétation basée sur une observation (parfois fausse) de mon corps, exprimée en termes compréhensibles par la société dans laquelle je suis.

 Je n'ai pas vraiment choisi mon identité non plus. Je n'ai pas choisi d'être transgenre, je n'ai pas choisi d'être une fille, je n'ai pas choisi mon prénom non plus (même si ce dernier point semble être une exception pour une personne transgenre), je n'ai pas non plus choisi mes goûts et mes intérêts, je n'ai pas choisi de préférer la poésie aux mathématiques, même si j'ai un certain degré d'influence là-dessus, en choisissant de poursuivre certains intérêts au détriment d'autres par exemple. Je n'ai pas choisi d'être française et américaine. J'ai cependant beaucoup de pouvoir pour choisir qui je veux être et pour me former selon mes désirs et mes aspirations : je décide de mes actes et je décide de mes opinions. Mais tout ça n'a rien à voir avec mon corps, et ferait peut-être l'objet d'un autre message de blog, parce que ça reste une observation toute aussi intéressante à développer.

 Ou alors je vais juste me remettre à lire de la philosophie et de la sociologie. Ca ne me fera sûrement pas de mal.

 

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Commentaires
Ananas & Compagnie
  • Bonjour, je m'appelle Jolene. Je suis une fille transgenre. Je suis française & américaine, poète & pâtissière (et nulle aux deux), végétarienne & flexivégane, et puis protestante aussi. Je fais semblant d'être une artiste. Et je raconte ma vie :D
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